mercredi 28 décembre 2011

Yolande Fièvre




Yolande Fièvre est née à Paris le 25 janvier 1907. Jeune voyageuse, elle visite l'Amérique et vivra en Egypte quelques années. Etudiante aux Beaux-Arts de Paris, plus tard professeur aux Beaux-Arts d'Orléans, elle affirmera très tôt sa position d'autodidacte.  Jean Paulhan, André Breton, Bernard Requichot, Jean Dubuffet, Raymond Queneau seront ses amis. Sa vie est jalonnée d'étapes précises mais s'interférant l'une l'autre.
Entre 1933 et 1967, elle travaille sur des dessins et peintures automatiques et abandonne définitivement tout aspect académique de la peinture. Elle préfèrera la création libre. Sans cesse à la recherche du temps et du paradis perdus, elle produit une création brute, débarrassée d'un apprentissage voulant à tout prix la dompter et domestiquer ses démons.


 Elle se lança dans des recherches passionnées et des expériences passionnantes sur la matière, souvent organique qui  donnent un aspect assez étrange à ses reliefs, on se croirait dans un monde fantastique et lunaire. Cela fait autant penser à la maison du Facteur Cheval qu'aux sculptures scriptuaires de Dubuffet. Mais Yolande Fièvre était une artiste singulière à qui l'on doit bien une place à part dans l'histoire du surréalisme.
Ce sont des collages ou plutôt des "assemblages" où les objets sont mis en scène, des boîtes-objets ou des sortes de reliquaires un peu spéciaux. On peut y voir un plan de coupe d’immeubles dont le mur latéral se serait effondré, laissant l’œil découvrir entre les cloisons des êtres informes (difformes ou inaboutis) : leurs têtes sont de galets rongés, leurs corps, de bois flottés, avec parfois un os de mâchoire ou une arête pour compléter le décor.
 C’est un  univers clos où le moindre détail est imaginé librement, où des personnages surgissent de mondes probables quelque part, là-bas, dans le très lointain infini.
  

Elle utilise aussi des éponges ou des abrasifs qui mettent en relief de petits tableaux « les captifs oubliés » ou « les gardiens ».
Large est sa palette de créations : on y trouve des soies-fictions, à base de tissus, des oniroscopes, et des vitrines avec des objets peints en bleu.
Yolande Fièvre renvoie à des artistes méconnus comme dans « Hommage à Bernard Réquichot » ou « rêve pour un jeune mort » 1961. (défenestré le 4 décembre 1961).






Elle fut affiliée aux surréalistes mais elle échappe à toute classification tant son œuvre est singulière.
Yolande Fièvre représente une certaine idée de l'avant- garde dans les années cinquante. Elle fut une pionnière. On l'avait marginalisée depuis sa mort en 1983, et ses suiveurs tenaient injustement le haut de l'affiche.


  Extrait de « L’œuf sauvage » - octobre/novembre 1991 par Jean planche
… En Fièvre, où l’on se perd, trois images se superposent : un personnage public, doté d’une spectaculaire carapace offensive ; une personne privée, en précaire équilibre, entre une singe, un mari, des amis et l’homme qu’elle aima ; enfin, une troisième – c’est encore la première – un être dont la création se maintint en communion avec le fond des choses, vivant de son éternité…
… Yolande Fièvre écrivait à Iris Clert, à propos d’une suite d’œuvres qu’elle nomma les Entrailles de la ville : « Je trouve des  "cris "qui ont leur grandeur fixés dans la pierre – des sourires aussi … et chose curieuse la plupart de ces pierres sont sonores – c’est comme un chant mystérieux enfermé dans les entrailles de la ville – cet amour que j’ai pour les pierres me sauve de bien des tourmentes – c’est comme une constance qui est en elles qui rend les choses plus légères. »
Yolande Fièvre avait écrit : »Je m’ensauvage, je ne lâcherai pas »
Peinture automatique, huile sur papier
Peinture automatique (huile sur papier)
La nabote Encre de chine sur papier

Oniroscope


mercredi 14 décembre 2011

Jean Raine


Jean Raine, né Jean-Philippe Robert Geenen, a vu le jour le 24 janvier 1927 à Schaerbeek, commune de Bruxelles. Il est le fils de Romaine Delhaye et Louis Geenen qu’il perdra à l'âge de huit ans.
Entré au lycée en 1939, il s'initie au surréalisme. Pendant les années de guerre, marqué par la lecture de Rimbaud, Mallarmé, Vitrac et Artaud, il rencontre le groupe surréaliste belge à La Taverne du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles et publie dans la revue de poésie créée par son professeur de français, Fernand Verhesen. Il se lie d’amitié avec ses condisciples Luc de Heusch, avec lequel il collabore plus tard à de nombreux films, et Hubert Juin qui l’initie au surréalisme. Avec eux, il fonde en 1943 la revue La Lanterne : tous trois choisissent des pseudonymes.
Décidant d'abréger ses études secondaires, il s'inscrit à l'université en Sciences politiques et administratives, histoire de l'art et archéologie. Il devient en 1945 un familier des Dimanches de Luc Hasaerts où il rencontre Pierre Alechinsky et rend compte d'une exposition organisée au Stedelijk d'Amsterdam d'un groupe de jeunes artistes : Christian Dotremont, Karel Appel, Corneille, Constant, Asger Jorn. Grâce à leur amitié, il participe en tant que poète et cinéaste à l’aventure du groupe CoBrA. 


 Il publie des textes dans plusieurs numéros de la revue et organise « Le festival du film expérimental et abstrait » lors de la Deuxième Exposition d’Art Expérimental CoBrA au palais des Beaux Arts de Liège en 1951. S'il écrit plusieurs fois dans la revue CoBrA , il ne fera jamais partie du groupe.
Ses premières amours sont la poésie et le cinéma. Il a rencontré Henri Langlois lors d’une exposition que celui-ci a organisée à Bruxelles et le rejoint à Paris en 1946. L’amitié de Langlois et les multiples rencontres qu’il fait à la Cinémathèque française le marquent profondément.
Au cours de ses premiers séjours à Paris en 1947, il fait la connaissance d'André Breton de retour d'Amérique, de Pierre Mabille, avec lequel il réalise son premier film documentaire  « le Test du Village », ainsi que de Matta, Victor Brauner et Jacques Hérold.
Très intéressé par le surréalisme, il a, à Bruxelles, rencontré René Magritte, Marcel Lecomte qui plus tard préface sa première exposition à Bruxelles et Louis Scutenaire, qui préface l’une de ses expositions à Paris.
Il collabore à divers films avec Henri Storck, Henri Kessels et Luc de Heusch, principalement pour la rédaction des commentaires de leurs films, notamment pour « Perséphone », le seul film CoBrA réalisé par Luc de Heusch et dans lequel  joue Nadine Bellaigue, sa première épouse.
Ancien patient de  l'Institut de Psychiatrie l’Hopital Brugmann et sorti  en 1961 d'un long coma éthylique, il se consacre, en 1962, à la réadaptation des malades mentaux au sein du Club Antonin Artaud à Bruxelles en proposant comme thérapie la pratique d’une discipline artistique. Le Club Artaud s’inscrit dans le courant de la déshospitalisation psychiatrique. Il  en est un des fondateurs  aux côtés de Sankisha Rolin Hymans qu'il épousera en 1965.
Alors que toute sa vie Jean Raine écrivit poèmes et textes, les mots peu à peu lui semblent insuffisants et il commence à dessiner puis à peindre. En 1962, son ami Marcel Broodthaers le présente à Philippe Toussaint, propriétaire de la Galerie Saint Laurent à Bruxelles où il expose pour la première fois, préfacé par Marcel Lecomte.
À Paris, Pierre Alechinsky l’introduit auprès de la Galerie du Ranelagh où il expose en 1964, exposition préfacée par Christiane Rochefort.
 
Ayant perdu la perception des couleurs, il entame sa première grande série d'encres dont il agrandit encore le format quand il est invité en 1965 à peindre en Italie, à Comacina. C’est de ces années 1964 à 1967 que datent ses grandes encres de Chine.
Ce travail est prolongé lors de son séjour en Amérique, à San-Francisco (1966-1968), séjour marqué par la vision retrouvée des couleurs et le début des peintures acryliques et la découverte de l'Action Painting. Il revoit Kenneth Anger qu’il avait hébergé lors de son premier passage à Paris vers 1950. Il y expose dans les universités de Berkeley et Stanford, ainsi que dans des galeries de San Francisco et Los-Angeles.
En 1968, Jean et Sanky rentrent en France et s'établissent à Rochetaillée près de Lyon où Mme Raine travaille comme enseignante à l’école internationale d’enseignement infirmier supérieur.
Grace à l'intérêt des critiques René Déroudille et Jean-Jacques Lerrant, la galerie L'OEil Écoute lui consacre en 1972 une exposition. De nombreuses autres sont alors organisées à Paris, Bruxelles, Lyon et en Italie.
La donation de Sanky et Pierre Raine permet de renforcer l'évocation de l'artiste au sein des collections du XXe siècle du musée des Beaux-Arts. Le musée possède déjà une encre de 1967, Le Jeu des Sycophantes, et une peinture acrylique, Le Chemin du collège de 1977, données respectivement par Marie-Claude Volfin en 1998 et Gilles Fage en 2001.
 Depuis 1970, attiré à Calice Ligure par Théodore Kœnig un ami de longue date, il séjourne tous les étés en Italie, où il expose à de nombreuses reprises.
« C'est Théodore Koenig qui me fit connaître l'Italie des ligures et les peintres qui y séjournaient tous les étés à Calice autour de la galerie Il Punto et de Remo Pastori. » Jean Raine
Au cours de sa vie, Jean Raine a traversé, côtoyé, animé de nombreux milieux intellectuels et artistiques.
 Depuis les années 60, on recense plus de 200 expositions de ses œuvres, seul ou en collectif, en France, mais aussi dans 9 pays, en Europe et Amérique du Nord et du Sud. Ses œuvres se composent de dessins, de peintures (souvent de papiers marouflés sur toiles), d'encres, d'estampes et aussi de sculptures.
 Nous laisserons le dernier mot à Mme Sanky Raine, in Lyon Poche, 2007 :
« L’œuvre de Jean Raine peut donner lieu à toutes sortes de légendes et de fantasmes tant le peintre constitue un des archétypes de l’artiste maudit (…) Lui qui peignait « le cerveau dans la main », met en formes et en couleurs les labyrinthes de sa pensée comme autant de figures de son enfermement et de ses désinhibitions. Figures hallucinatoires, monstres, ectoplasmes qui sont ses cris, ses jets, ses cauchemars, en autant de signes de ses ivresses et de ses délires (…)
 Il meurt à Rochetaillée-sur-Saône, près de Lyon, le 30 juin 1986.
Depuis, plusieurs rétrospectives ont eu lieu régulièrement sur son œuvre, aussi bien en France qu'en Belgique et en Italie.
 
A visiter:




 Jean Raine « Scalpel de l’indécence » aux éditions Paroles d’Aube-1994
« L’expérience du gouffre » sur des questions de Christian Bussy.

Comment dire qui vous êtes ? « Connais-toi toi-même », je sais que cela est difficile. Malgré tout, pourriez-vous tenter votre portrait robot ?
Je suis un être assez souffrant, souffrant d’une angoisse qui date de ma jeunesse. J’ai lutté contre cette angoisse de diverses manières, et avec des moyens qui n’ont pas toujours été les bons, qui m’ont même parfois conduit au seuil de la mort que je ne souhaitais pas. Pour moi d’ailleurs, la mort est plutôt une naissance. C’est un parti pris de ma part de proclamer que l’on naît mort et que l’on meurt vivant. C’est dans cette optique que je vis, que je crée. En effet je vois chez certains êtres une jeunesse réapparaître. C’est un espoir qui me fait vivre.
Je pense à Picasso, à sa dernière exposition en Avignon. Voilà un homme que l’âge a rajeuni, que la vie n’a pas tué, qui n’a jamais été aussi jeune qu’il ne l’est aujourd’hui. Mais qui Picasso touche- t-il ? Qui toucherai-je ? Comment ma mort, que j’appelle une naissance, sera-t-elle ressentie ou accueillie ? Dans la plus cruelle des indifférences, ou bien comme cela se passe actuellement pour Magritte ? Voilà un homme que la vie a tué près de sa mort et, maintenant qu’il a disparu, rien de ce qu’il fut dans son attitude d’homme, dans ses sentiments, n’intéresse plus personne.