lundi 16 janvier 2012

Franz Pohl





(extraits de « Les primitifs du XXème siècle » aux éditions TERRAIL, Jean-Louis Ferrier, 1997)
La démence créatrice
Le cas le plus fascinant des capacités créatrices exaltées par la folie est celui de Franz Pohl. Né en 1864 dans le pays de Bade (Allemagne), Pohl était un ferronnier d’art qui fit ses études à l’Ecole des Arts figuratifs de Munich et à celle de Karlsruhe avant de devenir enseignant dans une école professionnelle, emploi qu’il perdit au bout de quelques années en raison de son arrogance. Grand amateur de théâtre et de maisons closes, pour lesquelles il dépensait beaucoup d’argent, il vit son délire de persécution prendre rapidement de l’ampleur au cours de l’hiver 1897-1998, alors qu’il vivait à Hambourg. Il rapportait à lui-même ce qu’il subissait au théâtre, où il croyait entendre de tous les côtés des injures qui lui étaient adressées. Il était certain que les gens l’épiaient à travers sa serrure, de telle sorte qu’il se trouva contraint de déménager. Dans le tramway qu’il prenait pour rentrer à son domicile, lorsque le receveur criait en bout de ligne : «Terminé », il comprenait : « Il est toqué », ce qui le poussait à s’en prendre à lui.




Retourné dans son pays natal, au cours d’un voyage, il tira la langue au chef de train qui, prétendait-il, lui en avait fait autant. Il avait également des hallucinations auditives et gustatives. Interné dans diverses institutions dès 1898, il fut assassiné par les nazis en 1940.
De petite taille, la tête assez grosse, les cheveux et la barbe noirs, des yeux vifs de souris, il était calme et très maniéré. Son dossier clinique ne mentionne que de rares colères ou violences contre les autres malades. Pendant toutes ses années asilaires, il resta la plupart du temps tranquillement à dessiner, écrire ou composer de la musique, donnant des réponses laconiques aux questions qu’on lui posait. Il accueillait les visiteurs avec méfiance et déployait beaucoup de ruses pour tenter d’empêcher qu’on regarde ses œuvres, trouvant sans cesse de nombreux prétextes pour retarder l’ouverture du ballot ficelé dans lequel il les cachait…
… Pohl avait donc bénéficié d’une formation complète dans le domaine des arts avant de se détourner du monde. Peu après son internement, il se mit à dessiner des scènes de la vie asilaire : séance de rasage dans une cellule, devant une fenêtre grillagée, où l’on voit un malade de dos, assis sur une chaise, accompagné d’un infirmier qui tient un rasoir à la main ; études d’attitudes de malades qui posent pour lui ; vue intérieure d’une salle de repos avec le mobilier et quelques aliénés hagards ou affalés…


Ces dessins sont accompagnés de commentaires abscons qui relèvent de son état psychotique ; mais pour le reste, s’ils témoignent d’un certain savoir-faire, notamment dans le rendu de la profondeur, ce sont de simples croquis sans valeur esthétique. Il est même étonnant de constater qu’un malade mental ait pu dessiner de manière aussi banale, dans le style platement descriptif qui caractérise les illustrations qu’on trouvait à l’époque dans les manuels scolaires. L’enseignement qu’il a reçu et celui qu’ensuite il a donné persistent en lui : le tremblement de son esprit n’a pas encore mis au jour ses richesses insoupçonnées et sa formation artistique, loin d’en favoriser l’extraction, ne fait pour l’instant, que l’entraver.
Aussi est-ce quelques années plus tard, lorsque sa schizophrénie se fut considérablement aggravée, que Pohl deviendra un grand artiste.







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